Cosara
Une compagnie d'aviation qui restera
l' aventure d'un homme : Maurice Loubière
COSARA
B.P. 716 - Adresse télégraphique : Cosara-Saigon
5 Ã 13, rue Turc
(maintenant Hô Huân Nghiêp )
Saïgon
La rue Turc est située près de la rivière de Saïgon entre le côté pair de la rue Catinat et de la place Rigault de Genouilly .
Marseille Saïgon
sur le Paquebot "Le Cap Varella"
En 1929 Maurice Loubière marseillais de son état embarque sur le Cap Varella un paquebot des "Chargeurs Réunis", Compagnie française de Navigation à Vapeur, pour effectuer son service militaire en Indochine.
Il est affecté au Régiment d' Artillerie Colonial à Hanoï. Il apprend le Vietnamien et devient alors interprète au sein même du RAC.
Après dix sept années dans le commerce chez Socony-Safcat.
Les Pagodes du Tonkin
La Standards Oil, et les Comptoirs Généraux de l'Indochine où il réussit un coup de maître en décrochant une commande de cents camions "Berliet-Gazobois" pour la CGI. A cette époque l'essence est plus que rationnée et les véhicules roulent aux gazobois ou à l'alcool de riz pour remplacer l' essence.
La reprise des hostilités oblige Maurice Loubière à quitter l'entreprise pour rejoindre son poste au Régiment d'Artillerie Colonial.
En septembre 1942 il fonde sa propre société:
"Les Comptoirs des Industries Locales" commerce de fournitures et de vivres aux troupes de l'armée.
Cinq ans plus tard compte tenu des évènements et des difficultés de ravitailler en temps, en heure et en alimentation fraîche les troupes éparpillées à travers le pays, Maurice Loubière se pose la question pourquoi ne pas profiter du nombre de petits aéroports non utilisés, construits par les Japonais. Il envisage donc d'acquérir un avion pour le transport de frets à la demande.
Le 9 septembre 1947 il dépose ses statuts au Tribunal de Commerce de Saïgon et transforme ainsi sa première entreprise en une SARL au capital de cent mille piastres. Il en apporte soixante quinze mille et son associé un de ses amis Vietnamien en apporte vingt cinq mille.
La COSARA (Comptoirs Saïgonnais de Ravitaillements) est née.
Les locaux sont installés rue Turc Saïgon.
Le siège social de la rue Turc à Saïgon
Cosara
5 Ã 13, rue Turc
Saïgon
Tél : CA.584, 21.357 et 21.131
Elle est une des premières compagnies d'aviation civile en Indochine qui assure des lignes intérieures au-dessus des Territoires insoumis.
Le 1er septembre 1947 la COSARA loue un premier Junker52 à la STA (Société transatlantique Aérienne, qui oeuvre en Afrique et dont le siège est à Paris). Elle obtient du directeur de l'Aéronautique Civile en Indochine le Colonel Ch. Lafon l'autorisation d'exploiter un service de transport aérien de fret à la demande, ravitaillement de produits alimentaires, shipping, affrètement de navires et transports fluviaux et aériens avec une dérogation pour des passagers sur les lignes :
- Saïgon Soctrang aller-retour
- Saïgon Phnom-Penh aller-retour
- Saïgon le Laos le transport de passagers est autorisé sans condition.
L'accueil des passagers de la Cosara rue Turc à Saïgon
En fin d'année un deuxième Ju52 est affrété à la même compagnie. La STA prend quelques parts dans la Compagnie COSARA.
Ces Ju52 sont des avions à hélices avec une capacité de chargement de deux tonnes et leur vitesse de croisière est de trois cents kilomètres/heure.
Les camions de la Cosara
La branche annexe de commerce de vivres aux troupes reste en activité avec 5 camions qui roulent à plein régime. De plus la COSARA développe avec 8 véhicules "Isobloc" dont elle est l'agent exclusif pour l'Extrême-Orient, les liaisons routières entre le centre urbain et les aérodromes pour des marchandises et des voyageurs :
"L' Avion sur la Route", joli nom pour du transport.
L' Avion sur la Route
Quelques mois plus tard la COSARA demande au Haut Commissaire de l'Aviation Civile l'Indochine l'autorisation d'acheter deux Dakotas tant la demande de transport de fret est importante.
Cette autorisation lui est accordée le 12/02/1948 à la condition qu'une filiale indochinoise soit créée afin que le matériel acquis ne serve qu'au profit de l'économie locale. Ainsi fut fait !
L'augmentation du capital de la COSARA passe à cinq cent mille piastres tout en conservant les ¾ - ¼ entre Maurice Loubière et son associé.
La Société Transatlantique Aérienne d'Extrême Orient (STAEO) voit le jour et devient la branche Aviation de la COSARA.
M. Loubière en est le Gérant tout en restant Directeur Général de la COSARA, le Général Girier déjà administrateur de la STA devient Conseiller technique de la STAEO et Meyer en est le chef pilote, Ph. Hoé reste Directeur Commercial.
Pour sa filiale STAEO, la COSARA demande une autorisation de vol au-dessus du territoire de l' Indochine toujours pour le transport de fret et passagers. Le Colonel Charles Lafon, encore à la tête de l'Aviation Civile en Indochine donne son accord. La COSARA devient affréteur de la STAEO( faut suivre !).
Un puis deux, puis trois DC3 Dakotas sont achetés à la Swissair en Suisse et la STAEO remboursera ses achats en deux ans par un pourcentage sur les heures de vol.
La flotte de la Cosara
Sur la photo de gauche un DC3 Douglas-Dakota
Sur la photo de droite un SO30 Bretagne
Ces DC3 Dakota ont un potentiel énorme comparativement aux Ju52. Ils ont une capacité de trente deux passagers, peuvent transporter jusqu'à huit tonnes de fret, et sont munis de deux moteurs Pratt et Whitney. En outre, eux peuvent être complètement dépouillés de leur confort intérieur pour le transport des troupes.
Tout serait parfait s'il n'y avait pas cette guerre qui n'en finit pas...
On transporte de tout, des paniers pleins ou vides, du matériel de toutes sortes, des volailles poules canards, oies, en cages et des cochons sur pieds et culottés s'il vous plait pour ne pas inonder le sol d'urine, bien entendu aussi des céréales, riz, blé, des victuailles, café, et multiples autres ballots aux contenus approximatifs.
De nouvelles étapes s'affichent au tableau des escales : Saïgon - Tourane - Hué-Hanoï- Phnom Penh – Tranninh - Hué - Soctrang.
La COSARA elle, reste un commerce de fournitures et de vivres aux troupes et s'accroît d'un transport public sur les lignes de Tan Son Nhut et Cholon avec cinq "Isoblocs' d'armement de navires, quatre autocars et quatre voitures de tourismes viennent agrandir le parc déjà important des "Avions de la Route".
Le personnel est maintenant nombreux pour les deux sociétés COSARA/STAEO et les méfaits de la guerre ne facilitent rien.
M. Loubière innove en faisant construire des logements qui leur sont réservés ainsi qu'à leurs familles.
En 1949 la COSARA fait construire une base aérienne à l'aéroport de Tan Son Nhut, avec un stock de pièces de rechange et un atelier de réparation mécanique pour la maintenance de sa flotte. Elle déplace son siège à Dalat, 3 avenue Graffeuil.
Elle devient fournisseur agrée des Chargeurs Réunis de la Marine marchande ainsi que de la Commission des Ordinaires de Tourane. Toutes les parts de la STA sont rachetées par la COSARA qui devient majoritaire dans ses compagnies (COSARA et STAEO).
La Société STAEO toujours domiciliée à Saïgon transforme son statut de Sarl en Société Anonyme. Elle convertit aussi sa dénomination et devient " la Société des Transports Aériens d'Extrême Orient". Son sigle déjà connu de STAEO n'est pas modifié, par contre le capital lui, l'est, il dépasse à cette époque les deux millions six cents milles piastres (la piastre vaut dix sept francs de l'époque) et la répartition des parts y inclut Air France avec ce nouveau statut.
Etonnamment c'est le sigle COSARA qui sera pour toujours retenu, aussi bien dans le langage courant qu'inscrit sur tous les courriers, qu'il soit question de l'une ou de l'autre Compagnie, pendant ses huit années de vie en Indochine.
Enfin après maintes et maintes requêtes l'autorisation de transporter "officiellement" des passagers en plus du fret, lui est accordée. Le fait existait, mais n'était qu'officieux !
Une nouvelle ligne aérienne apparaît : Saïgon- Phnom Penh – Soctrang – PhanThiet –Tourane -Hué- Vientiane -Dalat.
Le Prince Savang Luang Prabang accepte de faire parti du Conseil d'Administration de la STAEO pour représenter le groupe laotien.
La COSARA requiert les services d'Air France dans le cas express où ses avions ne suffisent plus. Air France a des difficultés d'assurer ses liaisons, et la COSARA souhaite utiliser les créneaux restés libres, mais le monopole de la principale compagnie fait barrage. Finalement l'Amiral Hébrard représentant la Compagnie Air France donne son aval à la COSARA pour des vols réguliers sur presque toutes les lignes intérieures de l'Indochine, sauf celles appelées longs courriers comme Saïgon Hanoï et Saïgon Haïphong.
Ce n'est qu'Ã partir de 1950 que la COSARA pourra utiliser ces deux lignes principales.
Le personnel de la Cosara
Sur la photo de gauche l'équipage d'un avion de la Cosara.
Sur la photo de droite Maurice Loubière, chemise blanche, pantalon gris (jambes écartées), sautant de joie à la réception de son nouvel avion SO30.
La guerre est toujours présente et fait de nombreux blessés, la COSARA met ses avions à disposition pour le transport des blessés.
Voici l'extrait d'une lettre que le Colonel de Crèvecoeur a adressé à Maurice Loubière, et qui témoigne des évènements tragiques en ces temps de 1949 en Indochine, et l'utilité de l'aide des Compagnies aériennes en activité :
... En 1949 la COSARA rendait au Corps expéditionnaire de précieux services, à la suite d'un engagement dans la région de Soctrang elle a évacué un nombre important de blessés dont deux avions entiers, quand les mandats pour les dédommagements vous ont été envoyés pour régler le prix de ces transports vous les avez retournés au Commandant en chef en lui exprimant que vous ne vouliez pas être payé pour le transport de soldats blessés mais tout simplement apporter au Corps Expéditionnaire une aide désintéressée et lui témoigner par ce simple geste que vous vouliez prendre part à leurs efforts et à leurs sacrifices.
Le Général Blaizot m'a chargé de vous exprimer ses remerciements et la gratitude du Corps Expéditionnaire...
Colonel de Crèvecoeur.
Nous sommes en 1950.
Le couple COSARA-STAEO est classé 2ème compagnie parmi les Transporteurs Aériens, bénéficie de la faveur du public et du milieu asiatique, elles deviennent de plus en plus prospères.
Ce qui éveille et met au grand jour des jalousies et des polémiques latentes.
D'autant que La COSARA fait paraître sans attendre les décisions ministérielles, une publicité dans la presse qui met en valeur ses nouveaux tarifs à la baisse pour des trajets quotidiens sur la ligne convoitée par Air France.
Publicités Cosara
A gauche : de 1951 à 1953 quatre nouveaux DC3 vont accroître le parc aérien de la COSARA.
Mais tout va très vite, et la guerre est toujours là !
La COSARA cherche des appareils aériens avec une vitesse supérieure à celle des Dakotas, d'autant qu'ils se font rares sur le marché !
Pour le transport des militaires, des avions de la COSARA sont réquisitionnés comme le sont aussi ceux dans d'autres compagnies aériennes.
La COSARA est nommée pour la Grand Croix de la Légion d'Honneur Médaillé Militaire pour service rendu :
"Pour le transport par 10 avions de Saïgon à Hanoï de 230 passagers militaires les 10,11,12 décembre 1951 avec 27 passagers par avion DC3".
En 1952 un DC3 Dakota de la COSARA est abattu par les Viet Minh à Phan Thiet, il n'y aura que des blessés.
A cette époque il est très difficile voir impossible de trouver des DC3 Dakota en bon état sur le marché. La COSARA acquiert le droit d'exploiter deux SO30 Bretagne qui le 24 juillet 1952 viennent augmenter son parc.
A droite : Publicité Cosara parue dans l'annuraire Bottin de 1951.
De fabrication française ces avions n'ont pas la faveur des compagnies aériennes.
Ce sont des bimoteurs, Pratt and Whitney, 43 passagers peuvent y prendre place sur deux rangées, l'avion est pressurisé comble du luxe, les soutes spacieuses ont une capacité de 19 tonnes de matériel et leur vitesse est de 400kms par heure.
Après négociations avec le directeur de la SNCAZO et l'accord du Ministre de l'Air le contrat est signé le 24 juillet 1952. Les équipages et les ingénieurs de la STAEO arrivent de Saïgon pour un stage de formation à Villacoublay.
Toutes les autorisations ont été requises : celle du Directeur de l'Aéronautique civile en Indochine, l' approbation écrite du Haut-Commissaire, celles des Ministres des Etats Associés, des Transports, des Finances et de L'Air, et pourtant...
La publicité sur ces acquisitions est titanesque pour l' époque elle paraît dans de nombreux journaux : Le Figaro, Match, France-Indochine, les Ailes, France Outre-mer etc.
Après qu'ils ont été jugés "Aptes et bons pour le service" par les pilotes, les deux SO30 rallient Saïgon, leur port d'attache, en faisant une escale attendue à Nice.
Ils sont baptisés dans cette belle ville par l' impératrice Nam Phuong, épouse de Bão Daï dernier roi de l'Annam et Empereur du Vietnam. Le premier SO30 prendra le nom de Bac Hac soit Cygne Blanc, et le second Van Hong ou Nuage Rose, puis ils reprennent l'air et se posent successivement à Athènes, Damas, New Delhi, Calcutta. Le 1er août ils arrivent à bon port.
Ces deux avions apportent une rapidité de transport qui n'existait pas encore en Indochine et bien entendu créent des différents avec les autres compagnies sur le terrain.
Dès leur premier vol à partir de Tan-Son-Nhut, Patatras! Interdiction de voler, quelques défauts techniques paraît-il. Il fallut débarquer frets et passagers. En fait Air Vietnam qui vient d'être constituée bénéficie du monopole sur les lignes intérieures et les longs courriers, ce qui court-circuite l'utilisation immédiate de ces monstres volants et remet en cause leurs rentabilités avec au moins cent heures de vol mensuelles. Dans un premier temps ils seront utilisés au profit des militaires.
Après multiples considérations et courriers aux autorités compétentes, le trafic Saïgon-Hué-Hanoï reprend ainsi que sur toutes les autres lignes que la COSARA desservait auparavant. Elle conserve le tiers du trafic de toutes les lignes intérieures.
De nombreuses tonnes de frets sont transportées pour les militaires et rien qu'en 1953 plus de 47 vols seront effectués spécialement pour les parachutages.
Entre 1953 et fin 1954, deux DC3 Dakotas et cinq nouveaux SO30 Bretagne sont achetés par la COSARA.
L'harmonie de l'exploitation des lignes sur le territoire indochinois est une remise en question permanente.
Pendant l'opération "Cognac" 6000 personnes seront évacuées par la COSARA.
Après les accords de Genève signés le 20 juillet 1954, l'Indochine est divisée en deux parties au niveau du 17ème parallèle.
En 1955 la COSARA cesse toutes ses activités. Le pays coupé en deux et par voie de conséquence les lignes aériennes des compagnies ne peuvent plus travailler.
La COSARA vend à Air VietNam ses DC3 et à la Marine française ses SO30. Elle laisse derrière elle une base aéronautique à Tan Son Nhut devenu un aéroport international, cette base sera utilisée par Air Vietnam.
Le SO30 Bretagne
l'avion commercial le plus rapide en Indochine
Total d'avions pour la Compagnie COSARA-STAEO :
- 2 Ju52
- 7 DC3 Dakotas
- 7 SO30 Bretagne
Pour un nombre total d'heures de vol de 60 000 et 8 930 000 kms parcourues
- En 1947 Il fallait quatre à cinq jours pour faire Saïgon Paris, aujourd'hui il suffit d' à peine une journée.
- En 1949, il fallait 4 heures 15 de vol pour relier Saïgon Hanoï.
(dixit France Outre-mer juillet 1949)
- Maurice Loubière n'a pas revu le Vietnam avant 1991, d'où il est revenu complètement désenchanté, sans reconnaître le pays qu'il avait tant aimé.
Monique Loubière
L'aérodrome de Saïgon en 1949
Tous les faits de ce texte sont avérés et tirés de documents officiels.
Archives du Ministère de Aviation civile et militaire
Archives du Ministère des Armées
Archives d'Outre-mer
Magazines "Le fana de l'aviation n° 222,223, et ceux nommés dans le texte.
Photos, cartes, et publicité collection personnelle de Monique Loubière
Les photos des véhicules Cosara proviennent des Archives Nationales d'Outre-Mer d'Aix en Provence