L'AFFAIRE DES PIASTRES
Billets édités par la Banque de l'Indochine
Une parenthèse dans cette guerre : Le clan des Corses
Le Clan des Corses Au lendemain de la Libération, Jean-François Armorin était l'un des journalistes les plus connus de Paris. Collaborateur de Franc-Tireur, il avait couvert l'affaire de l' Quant aux deux catastrophes aériennes, les enquêtes établirent qu'elles étaient dues au mauvais état des appareils. Une arnaque presque légale Situé près du port, en bas de la rue Catinat, ce quartier était un véritable havre de paix. A quelques centaines de mètres de là pourtant, les grenades éclataient à la terrasse des cafés. La Sûreté française et les différentes milices vietnamiennes se livraient en effet à de sordides règlements de comptes contre les partisans du Doc Lap (l'indépendance). |
Et Dieu sait si nos braves pioupious furent économes puisque, de 1947 à 1949, ils ne dépensèrent pas une seule piastre en Indochine et firent fructifier leur pécule. Mieux, le montant des transferts de piastres dépassait de très loin le total de la solde des militaires. Pourtant, on pouvait voir marsouins, aviateurs, fantassins et légionnaires vivre sur un grand pied, jouer des sommes astronomiques au Grand Monde, à Cholon, le faubourg chinois de Saigon, ou payer avec largesse les prostituées opérant au Parc à buffles, le plus grand BMC (bordel militaire de campagne) de la capitale cochinchinoise. D'autres «légalistes», pressentant la fin de la présence française, juraient qu'ils préféraient quitter cette Indochine où ils vivaient pourtant depuis des années, voire des décennies. On assista ainsi à un émouvant exode de «partants définitifs», autorisés à transférer sans problèmes le fruit de leur labeur, et qu'on retrouvait, quelques semaines plus tard, à la terrasse du Continental, victimes d'un irrépressible «mal du pays». Certains partirent ainsi cinq, six, sept fois, jusqu'à ce que les autorités s'avisèrent de renforcer un peu plus les contrôles mettant un terme à ces allées et venues incessantes. Les hommes d'affaires, eux, furent saisis d'une véritable fièvre d'achats. Très vite, Saigon devint la Mecque des firmes d'import-export, créées le plus souvent de toutes pièces et disposant d'adresses plus ou moins fictives tant en France qu'en Indochine, souvent dans des bistrots tenus par des amis.
L'Indochine française vit ainsi affluer dans ses ports tous les stocks de marchandises invendables qui s'entassaient dans des entrepôts en France: films de série B, manuels scolaires périmés, carcasses de navires destinés à la casse, sacs de ciment inutilisable, parapluies par milliers, pots de chambre... On n'en finirait pas de dresser l'inventaire à la Prévert des exportations françaises vers Saigon que leurs commanditaires ne venaient même pas chercher au port ou qu'on retrouvait dans les terrains vagues entourant la ville. |
Le directeur de l'office n'était guère enclin à nettoyer les écuries d'Augias tant il était lui-même l'objet de pressions de la part des hauts-commissaires successifs, Bollaert ou Pignon, de députés, de ministres, de sénateurs ou de tous ces Vietnamiens «profrançais» dont la loyauté était inversement proportionnelle au nombre et à l'importance des transferts qu'on leur accordait. Champion toutes catégories dans ce domaine, l'empereur Bao Dai qui vivait chichement en exil à Hongkong depuis son abdication en 1946. Les Français souhaitaient le voir revenir en Indochine, mais Sa Majesté rechignait. Aussi, pour l'amadouer, l'autorisa-t-on à transférer en métropole l'équivalent en piastres de 500.000 dollars. Des importations pour l'ennemi Quant aux dirigeants des grandes firmes bordelaises d'import-export (Denis Frères, Alcan, les Comptoirs France-Asie...), ils multiplièrent par 10, entre 1947 et 1953, leurs opérations commerciales de France vers l'Indochine sans oublier d'encaisser au passage de copieux dommages de guerre au titre des réparations pour les destructions réelles ou fictives opérées par l'occupant nippon de 1940 à 1945. Autant de centaines de millions de piastres transférées chaque année de Saïgon à Paris qui permirent à ces sociétés de tirer leur épingle du jeu après la défaite de 1954 et la signature des accords de Genève. L'ombre de Paul Auriol, fils de... Une fois le transfert obtenu, on pouvait recommencer à l'infini l'opération. Il suffisait de faire rentrer illégalement de l'or à Saïgon - le gramme valait 586 F à Paris et 1 300 F en Indochine - ou des dollars via Hongkong, Colombo ou Macao. Les matelots des paquebots assurant la ligne Marseille-Saigon étaient spécialisés dans ces opérations illicites sur lesquelles les douaniers corses du port, rêvant d'une retraite dorée dans l'île de Beauté, fermaient volontiers les yeux contre quelques pots de vin immédiatement transférés chez eux grâce à ... |
Une chaude alerte ébranla le petit monde de la piastre. Le 18 septembre 1949, une bagarre opposa à la gare de Lyon un soldat de retour d'Indochine et deux Annamites. On trouva dans la serviette de l'un d'entre eux, Doc Dai Phuoc, employé à la légation du Vietnam, un exemplaire du rapport confidentiel adressé par le général Revers à Paul Ramadier, ministre de la Défense, à la suite d'une mission d'inspection en Indochine. |
Le Trafic des piastres devint un véritable best-seller, surtout lorsque des dirigeants de sociétés mises en cause attaquèrent l'ouvrage en diffamation. Ils obtinrent réparation, essentiellement pour des questions de procédure, mais la presse s'empara de l'affaire. Le gouvernement de René Mayer, interpellé à la Chambre, dut se résoudre, le 11 mai 1953, à ramener le cours de la piastre indochinoise de 17 à 10 F, ce qui limitait considérablement les possibilités d'enrichissement. |
La Chambre ne s'arrêta pas là . Le 2 juillet 1953, elle nomma une nouvelle commission d'enquête qui entendit, pendant dix-huit mois, plus de 75 hauts fonctionnaires relevés de leur obligation de secret professionnel. Approuvé par ses membres en juin 1954, le rapport de la commission fut déposé le 28 janvier 1955 sur le bureau de l'Assemblée par son président, Raymond Mondon. Le lendemain, celui-ci était nommé secrétaire d'Etat à l'Intérieur dans le gouvernement Edgar Faure. Son rapport ne fit donc jamais l'objet d'une discussion au Palais-Bourbon. |
Article tiré du journal "Mariannne" du 08 Juillet 2002