Gendarmes dans la rue Catinat Saïgon Août 1951

Comptoirs Generaux Indochine

Jeune Vietnamienne devant la polyclinique de enfants Saigon

Port de Haïphong

Colonel Revon rue Catinat Saïgon 1952

Adieu aux soldats du 5e Régiment Étranger Infanterie

Delahaye Bainier Saïgon

Jeunes filles saigonnaises

Publicité Apéritif de France Saint-Raphael

Troupes Japonaises dans Hanoï

Le Continental Palace Saigon

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Vietnamienne avec un velosolex 330

Sud Est Asiatique Juillet 1952

Soldat Français rue Catinat Saïgon 1952

La Bouillabaisse Hanoï

Résultat de la collaboration nippo-franco-indochinoise

Hôtel-Café de la Paix Hanoï

Cigarettes Nationales Saigon

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Soldats Français dans Saigon en avril 1950

Biere 33 Export Saigon

Reddition Japonaise auprès des Britanniques

Engagez-vous rengagez-vous

La police municipale de Hanoï

Vietminh dans des Peugeot 203 Hanoï



Bière Larue Indochine

Plan de Hanoï en 1953

Ciné Radio Saigon

Arrivée de monsieur Letourneau sur l' aérodrome de Tan-Son-Hut en octobre 1950

Bastos la cigarette de qualité

Velosolex 330 Saigon

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Voyagez avec les troupes coloniales

Savon Viet-nam

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La police munipale Hanoï

Camion Citroën Haïphong en 1952

Avions Taxis d'Indochine janvier 1948

Amiral Decoux et deux officiers japonais

Port de Haïphong

Base militaire de Saigon 1948

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La semaine à Saïgon-Aout 70

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La semaine à Saïgon-Aout 69

Asianis le Pastis de Saïgon

Arrivée de monsieur Letourneau sur l' aérodrome de Tan-Son-Hut en octobre 1950

Le Continental Palace Saigon

La police municipale de Hanoï

Voyagez avec les troupes coloniales

Camion Citroën Haïphong en 1952

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Amiral Decoux et deux officiers japonais

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Air Vietnam Saigon 1952

Résultat de la collaboration nippo-franco-indochinoise

Les arcades de Saigon 1950

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dragon

La deuxième partie :
"1700 Kilomètres sous la coupe des Japs"
La suite sur la page de la 3ème partie ( 3 )
Par Xavier Piezzoli

dragon

16 Août 1945

La nuit a été calme et reposante.
Sur le troisième gradin en planches de la tribune centrale, j'ai dormi comme un loir.
Maintenant en ouvrant les yeux, face à l'Est, j'admire tout près, en premier plan, la frise d'ombres chinoises de la verdure bordant le stade, frise floue, sombre aux découpures arrrondies, d'où jaillissent de sveltes palmiers empanachés ; et j'admire, également, tout de suite après, en second plan, le fond d'un ciel aux bleus nacrés parés de mauves, ourlés de nuages légers sur lesquels courent des rubis allumés par les premiers rayons d'or du soleil.
C'est, à proprement parler, magnifique.
Pourquoi faut-il que, de beau matin, le sergent escorteur soit particulièrement hargneux et brutal ?
Les coups pleuvent, à tort et à travers. L'adjudant-chef Fauvel et le Maréchal des Logis Major Ducourneau, copieusement rossés, arborent de longues stries, quelques unes de vingt centimètres sur trois.
Nous bouillonnons, secoués par un vent de révolte.
Le docteur Molle accourt, nous conjure de rester calmes, de ne pas fixer dans les yeux le bourreau Jap. Celui-ci passe près de moi, me regarde avec l'air de penser :
"Où donc ai-je déjà vu cette tête-là ?..."
Et je ne puis m'empêcher de lui dire, en annamite :
"Xau lâm" (mauvais travail). Il ne répond pas, mais son poing se crispe un peu plus sur la trique qu'il enserre. Je n'insiste pas.
Plus tard, des bidons d'alcool de riz achetés au prix fort par l'intermédiaire des soldats japonais qui en ont tiré un sérieux bénéfice, sont saisis par la même brute dont la face est écarlate comme tout trogne de Nippon, qui a trop bu de saké, et une bouteille, pleine aussi, est rageusement cassée sous nos yeux, par défi.
Nous arrivons au poste de la Garde Indochinois de Khe-Sanh, à dix-sept kilomètrique de Lao-Bao.
C'en est trop. Avec l'Adjudant Harmand, un vieux camarade, je me rends auprès de l'officier japonais qui, souriant écoute notre réclamation, sourit davantage lorsque nous lui précisons que le "choum" (alcool) est employé surtout à l'effet de pasteuriser l'eau douteuse que nous buvons depuis Hué, et promet d'éclaicir l'affaire.
Une heure plus tard, les bidons saisis sont rendus intacts ; la bouteille et son contenu sont remboursés.
Petite victoire morale qui aurait pu tourner à la bastonnade !
Pour des malheureus comme nous, la nourriture est manifestement améliorée : bouillon excellent, porc, pousses de bambou, thé chaud mais, sans pain ni plat de résistance, l'ordinaire d'un européen est incomplet ; ce que nous mangeons ne calme pas la faim d'ogre qui nous tenaille.
Les actes de brutalité ne se renouvellent point.
En fin d'après-midi, l'officier nippon, en mal d'apaisement... invite les Français à jouer avec des hommes ; au chat et à la souris, à l'ours, etc... puis organise une course où notre athlétique noir de la Concession de Hué se fait battre à plates coutures par un miniscule Jap qui ne paie pas de mine et qui le laisse littéralement sur place. Quel joli jeu de jambes ! Les blancs applaudissent ; les noirs rient... jaunes ; c'est tout dire.
Notre champion noir n'est pas en forme : n'oublions pas le régime, ni les marches harassantes des jours derniers, ni les quelques vingt kilos qu'il a perdus depuis le début de sa captivité ; tout se paie.

17 Août 1945

Nombreuses possibilités de ravitaillement clandestin pour qui possède encore de l'argent, un bijou : bague, voire alliance, une montre ou un stylo.
Les Annamites locaux, font des affaires d'or. En deux jour, leurs prix ont triplé... si la qualité de la marchandise a baissé. Gare ! Nous reviendrons moins conciliants !
Par contre, des Laotiennes traversent le stade, comme par hasard, et, de dessous de leur sarong, laissent tomber à notre attention d'appétissantes mains de bananes vite ramassés. Il n'est pas question de paiement.
Deux races, deux extrêmes.
L'égoïsme, parmi nous, confine, maintenant à l'écoeurement. Des boîtes de lait condensé, des produits de choix gonflent tel sac, tandis que la musette voisine est lamentablement flasque. Aucun geste charitable ne se fait : donnant donnant... Tu n'as rien ? Eh ! bien, crève !
Et, moi, je n'ai plus rien.

18 Août 1945

Salut Mékong ! Salut, géant !
Serein, café crème, large de mille huit cent mètres, déroule son ruban fabuleux entre deux rives exagérément vertes.
Ici, le Laos ; de l'autre côté, le Siam...
C'est en corvée que, pour la première fois que je découvre le Mékong.
Corvée excessivement dure, consistant à charger de gigantesques plateaux de bois en cale de la chaloupe. Malgré l'éclair des baïonnettes qui, parfois, activent les défaillants. Le pénible labeur est amorcé gaiement et mené à bien, par relais, en quelques heures.
Mon équipe a évité un grave accident d'extrême justesse.
Trois camarades exténués ont lâché sur les trois qui étions en cale, et sans crier gare, un plateau particulièrement lourd que nous retînmes par un miracle.
L'effort exgéré suivi d'une glissade en porte-à-faux, auquel j'ai été soumis, se traduit par une douleur légère mais persitante à l'aine, côté gauche.
Nous partons ce soir ! Nous partons ce soir !
Des voies joyeuses transmettent la nouvelle confirmée par les Japonais.
Nous partons ce soir, sans attendre les groupes B et C perdus de vu depuis Lao-Báo.
Ce fractionnement ne me dit rien qui vaille.
A dix-sept heures, rassemblement. a dix-sept heures vingt, le Résident Supérieur en tête, nous quittons le stade, insouciants, en apparence, quant à notre sort dont les Japs sont maîtres... après Dieu.
Nous traversons Savannakhet morne puis nous embarquons à deux cents sur la chaloupe à vapeur "Borys" qui, en temps normal, se contente largement de quarante passagers.
Le Mékong actuellement en période de hautes eaux, s'irise à la féerie d'un couchant splendide.
A dix-huit heures quinze, l'embarquement terminé un "Libérator" passe à notre verticale : un moment que nous craignons qu'il ne lui prenne fantaisie de lâcher un chapelet de bombes sur la cible de choix que nous représentons : les coups malheureux sont en général, ceux qui portent le mieux. L'avion s'éloigne, gros bourdon que, pour une fois, nous ne regrettons pas.

19 Août 1945
Savannakhet - Paksé

Nous avons une passé une nuit excessivement sur le "Berry's" à quai, notre entassement ne permettant point la position couchée.
Avant l'aube, sous le clignotement de millions d'étoiles, distribution de riz et de pousses de bambou.
Deux groupes nippons embarquent, à croire que tout à l'heure l'esquif va s'enfoncer sous nos pieds.
A 6h 20, l'ancre esr levée.
Rapidement emportée par le courant, la chaloupe file, quatorze noeuds.
Parmi les méandres du fleuve, il suit un chenal obligé, zig-zaguant tantôt à toucher la rive laotienne, tantôt à toucher la rive siamoise.
Le Mékong roule des eaux jaunâtres, limoneuses, lamées d'argent.
Dans les zones des rapides de Kemmarat, d'incessants tourbillons jouent sur la moire liquide, tournent en spirale et taraudent l'onde en leur centre, ouvert en entonnoir.
Des troncs d'arbres venus peut-être du Tibet, de hautes herbes droites, des touffes de bambous, amorcent, dans ces tourbillons, une ronde échevelée.
La chaloupe, à grand peine, évite un fort mouvement giratoire, manque à deux reprises de chavirer.
Des récifs submergés forment brisants ; des îles, allongées en fuseau, défilent sous nos yeux quelquesfois surpeuplées, souvent désertes. Partout, des bananeries pressées telles des palmeraies, d'aériens bouquets de bambous s'panouissent en panches verts sombres, des essences variées, de menues cases de pêcheurs, éparses, bordent le cours d'eau géeant. Des radeaux de bambous, portant chacun une paillotte habitée, s'accrochent, audacieusement, à des bancs de rochers. A des intervalles irréguliers, des villages, des bourgs thaïlandais aux pagodes finement ajourées semblent, derrière leur camouflage de verdure, se dresser sur la pointe des pieds pour nous regarder passer ; nous voyons, de ce fait, plus de toits en paille, en tôle ou en tuiles que de façades.
De temps à autre, une sorte de plongeoir sur pilotis, couvert de monde, s'avance au-dessus des eaux siamoises ; c'est alors, un échange frénétique de signaux entre les indigènes et nous.
La rive laotienne, sauvage, est quasi-déserte.
Le contraste des deux bords est frappant.
Devant la proue du "Borys" montent très loin, des hauteurs bleues, véritable de théâtre. On se croirait sur un lac du Bourget d'ocre jaune, ceinturé de basses montagnes arrondies.
Brusquement nous arrivons au confluent du Mékong et de la rivière siamoise Se-moun. Quel joli coin ! Au cours de nos périgrinations, j'ai rarement contemplé de nature aussi belle. Peintre de grand nom, je planterai mon chevalet avec enthousiasme dans ces parages divins.
Un massif en forme de parasol chinois puis un pic rappelant le Cervin annoncent Paksé.
A babord, à tribord, c'est, maintenant, une floraison d'habitations diverses.
La chaloupe fait un-à-gauche brusque et s'engage dans la Se-Done limpide, berceau de la coquette cité.
Accostage ; lent débarquement ; nuée d'Annamites que notre sergent escorteur écarte à coups de crosse de mitraillette et à volée de morceaux de bois entassés par hasard à portée de sa main ; la méthode est efficace : l'élement japonais nous entoure. Nous préférons ça.
A terre, le détachement se reforme. Nous traversons, en ordre, la ville, capitale en puissance, et passons à côté de groupes de soldats nippons, lesquels, arrêtés, mains aux hanches, chantent en se dandinant, cette espèce de mélopée grave que nous avons entendu après chacun de leurs "coups durs". Hymne en l'honneur des héros tombés pour leur Mikado, tombés pour l'Empire du Soleil Levant, tombés, c'est moins reluisant, pour la "plus Grande Asie"... Cela nous laisse entrevoir de bonnes nouvelles... Mais, Dieu, quelle haine brille dans les yeux de cet officier jap, un capitaine, que mon barda manque de heurter !
Nous arrivons à la caserne de la Garde Indochinoise. Là, nous retrouvons plusieurs centaines de camarades pris au Cambodge et dans la brousse.
Effusions...
De soi, disant morts se portent bien, dont moi, puisque j'apprends que j'ai été tué le 9 Mars 1945 à 23h15 (quelle précision !) au balcon de la Légation de Hué...!
"On t'a vu tomber tout ensanglanté au milieu d'un déluge de flammes, de balles et d'éclats... alors... "
Des confirmations cruelles voient, malheureusement, s'allonger la liste des victimes de l'attentat ! hélas !
Pourtant, par-dessus de trop pénibles nouvelles, planent des bruits radieux, des bruits de libération incessante et de fin prochaine de nos misères. Acculé à la défaite, le Japon serait à la veille de déposer les armes : c'est pourquoi il chante !...
Ah ! l'immense, la sainte joie muette qui nous transporte !
Mais tant de bobards, tant de "canards" ont été démentis par les événements, que le doute, insidieusement, tempère cette joie.
Dislocation de notre formation, puis regroupement au petit bonheur, en vue de notre installation.
Mon nouveau groupe est dirigé en pleine ville, vers deux paillottes sordides où un feu de bambous est censé mettre en fuite les moustiques bourdonnants qui les infestent.
Une garde sévère, hargneuse et comme apeurée nous surveille... Dame ! Nous venons de Lao-Bao, n'est-ce-pas ? et avec les bagnards, sait-on jamais ?
Du riz à l'eau et du poisson sec abominablement salé nous sont servis dans des chaudrons. Malgré la faim qui nous tenaille, les aliments passent difficilement. L'eau de boisson fait totalement défaut. Ceux qui ont goûté au poisson sont au supplice. Les Japs refusent net de nous ravitailler en liquide. Sauvage, va !
Le gosier en feu, nous nous allongeons sur les bambous disjoints recouvrant le sol des cases, pour une nuit plus pénible que sur la chaloupe.

20 Août 1945

Café ! Nous le buvons avec un plaisir non dissimulé. Un ami le Sergent-Chef Michiara, lui tresse un compliment ampoulé, en digne fils du pays des Cigales.
Nous changeons de locaux.
Sur la route de Paksé-Plage, à droite, à cent mètres du Mékong nous occupons, à quatre-vingt-cinq, deux cases laotiennes surélevées, d'une dizaine de mètres de long sur sept de large.

21 Août 1945

Quelle nuit affreuse ! C'est, chaque fois, le même refrain ! Des journées harassantes... et des nuits d'insomnie ! Nodosité de bambous bruts mal aplanis par un couvre-pieds maigre ; moustiques par myriades, voraces, douloureux contre lesquels me protège effectivement la moustiquaire trouée que j'ai conservé ; gémissements, et plaintes des malades, dysentriques et paludéens.
Des nouvelles "dignes de foi" (Ah ! ces trois mots... ) nous parviennent sur la situation en Extrême Orient et particulièrement sur la situation en Indochine. Une allégresse folle s'empare de nous mais nous restons dignes et disciplinés.
Un interprète japonais prend des commandes diverses. Sans trop s'engager, il confirme les bruits circulant et il ajoute :
"C'est heureux pour vous, Messieurs, car sans cela vous étiez bon pour Paksong où vous étiez attendus et à Paksong... "
Il n'achève pas. Nous nous taisons, car nous savons déjà quel enfer est devenue la bourgade maudite, aux mains de brutes sans pitié pour la réalisation de travaux mortelles.
Paksong... Au point où nous sommes rendus, physiquement parlant, la perte de poids moyenne étant d'une quinzaine de kilos (un adjudant de Tourane a maigri de quarante kilogrammes à lui tout seul, il est vrai qu'il en pesait cent treize !), le moindre séjour aux travaux forcés nous enterrait tous.
L'enfer de Paksong ! plus d'un s'en souviendra ! Et cet enfer était le "Camp plus confortable" annoncé au départ de Hué !
A dix heures, un avion nippon survole Paksé, tourne à trois reprises à basse altitude, jette un message lesté, bat des ailes et pique vers le Nord.
A quinze heures, coup de théâtre : un officier japonais vient au camp, harangue les sentinelles puis s'en va ; aussitôt les sentinelles rentrent au poste, déposent, avec ostentation, leurs armes, et cessent leur étroite surveillance.
Nous nous regardons, muets, le coeur battant la chamade.
Autre coup de théâtre : nous sommes autorisés à nous rendre au camp de la Garde Indochinoise où est célébrée une messe en plein air, à la mémoire des morts d'Indochine. Cérémonie poignante à laquelle nous assistons tous.
Des détails nous sont donnés sur l'odysée tragique de plusieurs petits détachements. Ainsi, celle de quarante-quatre prisonniers conduits à pied, à marche forcée, de Muong-phing à Saravane, soit cent trente et un kilomètres. Sur ces quarante-quatre camarades, les Sergents-Chefs Casanova (un Corse) et Daniel, tombés exténués en chemin, ont été roués de coups de crosse et achevés à coups de talons, après avoir été trimballés comme des porcs, à la mode annamite : attachés par les pieds et par les mains à un bambou. Parmi les trente-sept restants, vingt-sept ont été transportés à l'hôpital dans un état grave, plusieurs sans espoir de se rétablir. Les dix autres, lamentables, font pitié. Plus d'un flanchera.
Je persite à croire que mon détachement a bénéficié de la triple chance d'être en nombre, d'avoir eu affaire à des soldats ennemis qui le connaissaient depuis cinq ou six mois et, surtout d'avoir eu pour chefs de convoi deux officiers corrects.
Rumeurs ; cent hommes, dont les malades, du détachement de Hué partiraient incessamment.
Nous sommes pratiquemment libres. Personne, toutefois, ne profite de la situation par crainte d'une embûche possible : la mentalité asiatique nous a rendu méfiants.
Grâce à l'interprète japonais, une "bamboula" discrète a pu être organisée, corsée de deux ou trois cuites à souvenir vivace ; demandez à Barrere !

22 Août 1945

R.A.S. Il pleut. Les cent hommes ne sont point partis.
Nous nous inquiétons du sort des groupes B et C dont nous sommes sans nouvelles depuis Lao-Bao. Il est question de tant de massacres que nous craignons pour leur vie.

23 Août 1945
Paksé - Kinak

Très tard, hier soir "on" nous afait savoir que nous partirons ce matin ; aussi, dès 4h 30, sous les paillotes, à la lueur vacillante de deux bougies, l'effervescente règne, et les bardas sont blouclés.
Café... sucré ! Nous en avions perdu le goût !
Rassemblement hâtif ; traversée nouvelle de Paksé ; longue station sur les quais où s'alignent d'autres détachements : du Cambodge et du Laos, officiers en tête. Nous sommes les seuls à ne pas avoir d'officiers avec nous, hormis nos docteurs.
Au grand complet le groupe A se reforme et embarque sur le "Colombert" ; les autres détachements prennent place sur une deuxième chaloupe : le "Borys".
Le Résident Supérieur Haelewyn et les frères Delsalle ont quitté Paksé en voiture particulière sous escorte de sécurité. Ayant eu le choix entre Hué et Saïgon, ils ont, paraît-il opté pour cette dernière ville. Bonne chance ! Ils sont si sympathiques ! (*)
... Et c'est, de nouveau, la très agréable navigation fluviale que notre entassement déflore malheureusement.
Bassac est dépassée.
Nous atteignons l'île de Khong aux sites enchanteurs.
Un panneau, genre Touring-Club, à proximité duquel nous sommes conduits, précise notre situation géographique : Angkor à 311 Kms, Paksé à 131 et nous invite à faire le tour de l'île : promenade de 22 kms. Le coin est tellement prenant, que nous acceperions presque cette invitation !
Arrêt ; corvée de bois de chauffage, et départ sans histoire.
Le Mékong s'élargit considérablement. C'est maintenant une mer parsemée d'une multitude d'îlots verdoyants.
Vers 16 heures, nous jetons l'ancre à Ban Houeikinak, petite bourgade où nous débarquons. Les chaloupes, en effet, ne peuvent aller plus loin à cause des rapides qui coupent le fleuve en aval.
Demain, une étape de vingt-quatre kilomètres nous portera au-delà de ces rapides.
En attendant à huit cents mètres du quai, trois maigres paillottes à même la brousse, à proximité de la borne indiquant "Saïgon 478 Kms", s'efforcent, en vain, de caser, c'est le mot, les passagers du "Borys" et du "Colombert". Ma section et une section voisine sont sans abri. Brusquement, à seaux, la pluie tombe. Bon gré malgré nous nos engouffrons dans les cases, sous les cases, dans un désordre indescriptible.
Sous l'averse, le seul repas de la journée est distribué : riz à moitié cru, donc immangeable ; soupe ultra-clairette, d'où mécontement général imputable aux cuisiniers français gris d'alcool gris (chum).

(*) Le Résident Supérieur Jean Haelewyn, son adjoint Edouard Delsalle et le frère de ce dernier sont amenés en brousse par les japonais. Ils seront décapités le 23 août 1945 près de Kratié huit jours après la capitulation (les assassins seront jugés et fusillés).

Carte Indochine Française Corps léger d'intervention défilent en septembre 1945 devant des sentinelles japonaises

A gauche : Carte de l'Indochine Française.
A droite : Commando Français du Corps léger d'intervention défilent en septembre 1945 devant des sentinelles japonaises.

24 Août 1945
Kinak - Voeun Khan

Ereinté, les yeux cernés, le détachement qui devait partir de bon matin est encore au camionnement à 9h 45. Le soleil, très haut, brûle comme une chaudière. Nous transpirons abondamment.
Abondonnant les malades avec le Docteur Mole, au bord de la route, nous entamons l'étape de vingt quatre kilomètres, dernier bond pédestre de notre calvaire.
Des traînards ; des colonnes étirées, indisciplinées, lasses ; une suée monstre, inondant shorts, chemisettes et bardas... et rien dans le ventre car le café, ce matin, a constitué, sans jeu de mots, en un quart d'eau chaude... le café moulu ayant disparu au moment se son utilisation.
Des accrochages se produisent entre des sous-officiers et deux officiers du détachement du Cambodge autrement démoralisé que celui de Hué qui a pourtant beaucoup plus souffert.
L'état d'esprit, évolue dangereusement, gagne tous les groupes.
Recrue de fatigue, affamée, la masse exaspère. Un jeune sous-officier réserviste, capitaliste dans le civil, parle même de hisser le drapeau rouge. Je me fais houspiller en lui rétorquant qu'il serait préférable de hisser d'abord la tricolore.
Dans un isolé, grand, squelettique diaphane, je reconnais l'Adjudant-Chef Devos, vieux camarade du Tonkin. Il flotte sérieusement. Tiendra-t-il ?
Douze, quatorze kilomètres sont arpentés dans une tension nerveuse incroyable.
Le soleil, au zénith absolu, mus en plomb fondu ; les pieds dépassent alternativement l'ombre de leur propre corps, avec laquelle ils jouent.
La nature désolée, revêche, est monotone : arbres clairsemés, terrains inondés, aucun village. Nous passons à proximité des chutes de Pha Pheng, à 1 Km 600. Dans un bruit de tonnerre, là-bas, le Mékong invisible gronde et mugit.
Voici la borne du Km 18 de Kinak. Tout de suite après, la borne frontière séparant le Laos du Cambodge remet, subitement, de l'entrain dans nos rangs. C'est à qui franchira le plus humoristiquement la ligne fictive : à reculons, en dansant, à quatre pattes. A 15 heures précises, moi je la saute.
Une heure un quart plus tard, nous atteignons Voeun-Khan où deux paillottes insuffisantes nous sont réservées.
Les grognements reprennent. Pour la seconde fois, le seul repas de la journée est saboté. Sans la fatigue paralysante, les cuisiniers du Cambodge seraient lynchés. La "soupe" est promise pour plus tard dans la nuit. Avec le déluge qui se remet de la partie, elle ne sera pas servie.
M'approchant des "cuisines" abrités, vestiges d'un important campement japonais, je fulmine en constatant que les cuisiniers ont interdit l'accès de leur domaine et leurs fourneaux aux docteurs Gireaudot et Thevenin, qui, sous la pluie battante, harassés, exténués, remarquables, essaient vainement de faire bouillir de l'eau pour les malades et les blessés.
Intervenant, je démonte un fourneau sans emploi puis, avec les briques ainsi récupéres, je bâtis rapidement sous la paillotte de la cuisine, un fourneau de fortune sur lequel j'installe le récipient des médecins. Pas de bois ? Les tisons des "cuistots" flambent à vide. Je me sers, prêt à en fourrer un dans la bouche du premier tiste sire qui rouspèteraient.
Les cuisiniers, à la lueur des flammes rouges qui jettent sur leurs figures d'ivrognes d'étranges plaques de feu et d'ombres, se regardent et, honteux, nous offrent un café excellent que nous acceptons malgré notre envie de les écharper.
"J'en boirais bien un autre quart !" murmure le docteur Thevenin ; qu'à cela ne tienne ! Je tends son gobelet ; les cuistots empressés, le remplissent encore... ainsi que le quart du docteur Giraudet et le mien.
Excusez-nous, disent les paillards, nous ne avons pas reconnus tout à l"heure.

Triste ! ...

27 Août 1945
Stung Treng - Kratie

Par punition, j'embarque, à ma grande joie, avec vingt hommes de mon détachement sur une chaloupe transportant les malades du docteur Molle.
Un vrai bateau-hôpital, cette chaloupe, avec 90% de ses occupants sur le flanc, dont plusieurs pour lesquels aucun espoir n'est permis.
Le docteur est la providence de ces malades. Il se dépense sans compter... malgré l'épuisement et la fatigue marquant son visage émacié.
Après 7 heures de navigation nous stoppons à Kratie. Nous repartons à 21 heures pour Phom-Penh.
Le ciel couvert, cache longtemps la lune, puis celle-ci brille d'un merveilleux éclat indirect. Le Mékong, sombre, légèrement tendu d'argent, roule, majestueux.
A bord, dans des positions impossibles, parmi les plaintes et les vomissments des malades, les voyageurs valident s'évertuent à trouver un repos aléatoire.
L'Adjudant-chef Corteggiani, fuyant la promiscuité de la masse, a déniché une caisse à munitions longue de 0m 90, large de 0m 50. Il a beau s'accroupir, se tasser : ce n'est pas cette nuit qu'il dormira.

28 Août 1945
Kratie - Phnom Penh

Nous touchons Kompong-Cham à 5 heures ; quelques minutes d'arrêt. La chaloupe repart sur un fleuve de plus en plus clair. J'assiste à un splendide lever de soleil.
Le bâtiment aligne ses quatorze noeuds, avec l'appui du courant.
Voici Roca Khong où, avec ma dernière piastre, je me ravitaille en fruits : six pommes-cannelles juteuses à souhait.
Entre les verdoyantes rives, la chaloupe, chargée à couler, fonce allègrement. Des voiles de jonque et de sampans apparaissent, maintenant, telles des fleurs jaunâtres sur un champ d'azur pâle à reflets mauves. Les toits crèvent plus régulièrement la verdure immuable qui nous escorte. Le temps est idéalement beau.
L'île de Lovéa est en vue, en vant vers la droite . Nous la délaissons pour serrer la rive gauche du Mékong, mais j'admire ses bosquets de hautes ramures, ses ramures, ses arbres en parasols isolés, ses jolis toits rouges.
Lovéa ! Lovéa, que la vie doit s'écouler douce, en ton sein émeraude !
Las ! la vie à bord est moins rose ! Tandis que je m'extasie sur Lovéa, un fonctionnaire nippon frappe le docteur Mole qui réplique à coup de poing et s'accroche. C'est un tollé. Nous les séparons. Un sergent japonais refuse d'accepter la réclamation du médecin : rageur, il s'accule à un tas de sacs et dégaîne son sabre, une lueur de crime dans ses yeux porcins ? Mieux ne vaut pas insister. La roue a tourné. Il est inutile d'exposer des vies françaises alors que le châtiment est possible autrement. Heureusement, peut-être, pour les deux japs, car l'eau du Mékong ne rend jamais sa proie.
Le fleuve s'ouvre encore.
Au loin, Phom-Penh est signalé ; des pilônes et une pointe du palais royal piquent vers le ciel.
Voici la cité souveraine, aux jaunes resplendissants. Nous la longeons. La "maison flottante", face au Palais Royal ; les vedettes automobiles, les jaunes esquifs du Roi ; de belles maisons, un ensemble d'ordre et de beauté, d'orgueilleux et de simple : Phnom-Penh.
La nouvelle de notre arrivée se propage rapidement à travers la Capitale. De nombreux prisonniers ont, ici, leur famille. Le service d'ordre japonais est bientôt débordé.
Ah ! cet accueil touchant ! Ces embrassades, ces étouffemens, ces cris joyeux mêlés de larmes, ces poignées de main... et ces regards anxieux qui fouillent notre convoi dans l'espoir de retrouver un être cher... qui ne reviendra peut-être plus !...
Dans la traversée de Phnom-Penh, notre effectif triple et quadruple. Tout le monde nous salue et nous acclame. Cepandant, les nouvelles nous déçoivent en partie. Nous croyions que tout est fini, que des troupes françaises avaient débarqué, que la Cochinchine et le Cambodge regorgeaient de soldats de chez nous ; or, aucun débarquement n'a eu lieu, aucun détachement allié n'est arrivé ! Seuls, deux officiers ont été parachutés hier et conduits à Saïgon avec armes et bagages ! Toutefois, la fin du conflit géant est cofirmée ; la signature de l'Armistice par les Japonais est imminente : cela nous redonne l'excellent moral des beaux jours.
Le "logement" que l'on nous affecte à cent mètres de la gare est sale au possible. Mais les victuailles, les fruits, les cigarettes, le tabac, le lait... et les bouteilles multicolores affluent. Ambiance de fête ! Rumeurs de banquet ! Entre deux mots, les mâchoires mordent, cisaillent, déchirent, avidement. Gorgés, gavés, nous risquons de mourir d'indigestion, après avoir manqué de mourir de faim !
La Croix-Rouge a fait, ici, un effort que je ne pensais plus réalisable, un effort gigantesque pour lequel aucun éloge n'est suffisant.
Anges blancs, donateurs connus et anonymes. Providence inespérée de tant de malheureux, soyez-en remerciés mille et mille fois.
Les visites sont incessantes. C'est, jusqu'au soir, un hourvari joyeux... à peine troublé par quelques têtes affaiblies que l'alcool a trop vite surprises.

Le marché de Pnom Penh en 1948 Le marché de Pnom Penh en 1948

A gauche : Norodom Sihanouk, pressé par la Japonais, proclama l'indépendance du Cambodge en 1945.
A droite : Le marché de Phnom Penh en 1948

29 Août 1945

Ventre rebondi... et carrelage en guise de lit ne vont pas de pair, d'où le sommeil agité de plusieurs d'entre-nous.
Peut-être, aussi, l'impression de sécurité qui se superpose à la perpétuelle menace latente suspendue jusqu'ici sur nos têtes, a-t-elle contribué à cette agitation.
Au jour, les visites reprennent sans discontinuer, jusqu'à la nuit.
Tard, gros trafic de voitures japonaises dans les rues de la capitale : des chefs nippons font leurs adieu au roi Sihanouk.

30 Août 1945
Phnom Penh - Saïgon

A 13h 45, regroupement sur la chaloupe Hoa-Tchin.
La chaloupe locale nous a escortés jusqu'à l'embarcadère, nous laissent sous le charme d'une saine émotion.
Maintenant, Phom-Penh repasse sous nos yeux, frise étonnante. Les toits jaunes à bordure verte du Palais Royal rutilent sous leur vernis aveuglant. La cité délicieuse, accueillante et bénie, s'estompe, s'efface, et le Mékong éternel nous tire entre ses deux rives, des rives progressivement plus basses.
Désormais, le voyage est considéré comme terminé.
La chaloupe fonce à vive allure. La nuit tombe, dais merveilleux qui nous recouvre sans transition, et s'écoule. Vers trois heures, Mytho est dépassée. Au petit jour, sur des sampans, sur des mâts, sur les toits des bourgades riveraines, nous voyons flotter d'étranges drapeaux rouges timbrés d'une étoile jaune, emblème, nous dit-on, du Viet-Nan indépendant.
La portée de l'événement échappe à la plupart de mes camarades.
Connaissant l'âme annemitte et le caractère de certaines revendications nationalistes, je sens une inquiétude vague pénétrer en moi. De quoi demain sera-t-il fait, dans ce fait, dans ce pays où deux civilisations se heurtent plus qu'elles ne se mêlent ?

dragon

Fin de la 2ème partie :
"1700 Kilomètres sous la coupe des Japs"
La suite de la 3ème partie ( 3 )

dragon

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